Mon Chapitre pour "Elles Ont Vu La Fidelité de Dieu"
Trouver son identité en Christ à travers l’immigration
Citoyenne du royaume de Dieu
« Il y a une montagne que seuls les boiteux peuvent escalader.
Il y a une table que seuls les affamés peuvent trouver.
Seul le mendiant aura la monnaie
Quand le besoin est tout ce dont vous avez besoin. »
Paroles de There Is A Mountain par Caroline Cobb
Prostrée sur le plancher, le visage pressé contre le carrelage froid, mes joues baignées de larmes, j’implorais Dieu de nous donner un moyen légal de quitter Caracas. Le Venezuela était en pleine tourmente économique. Le même gouvernement restait « démocratiquement » élu, remportant élection après élection depuis 1999. La crise était descendue dans la rue. Nous vivions dans l’une des villes les plus dangereuses du monde. Je poussais un soupir de soulagement chaque jour où Gustavo, mon mari, rentrait sain et sauf du bureau.
Nous étions en 2010 et notre vie était un paradoxe. Nous vivions dans un grand appartement avec des chambres spacieuses et de grands dressings que nous ne pouvions pas remplir de vêtements, car le coût de la vie était trop élevé. Les produits de base comme l’huile de maïs pour la cuisson et la farine étaient de plus en plus difficiles à trouver dans les supermarchés. Le lait et le poulet finiraient par manquer également. Faire ses courses était devenu un jeu de piste.
Je remerciais constamment le Seigneur pour le luxe d’avoir une voiture afin de me rendre dans les trois à cinq magasins où je me sentais suffisamment en sécurité pour aller à la recherche de ces produits de base qui étaient devenus des mets délicats à cause de leur rareté. Posséder une voiture simplifiait la recherche des denrées de base, mais augmentait aussi le risque d’être kidnappé ou abattu. Face à l’impossibilité d’une normalité, sans parler d’un nouveau départ, j’ai eu recours à la seule option qu’il me restait : j’ai prié. Parfois, les nouveaux départs commencent par des périodes d’attente longues et éprouvantes.
Qui nous étions
Nous avons grandi dans un environnement privilégié. J’ai vécu et étudié en Suisse et aux États-Unis. Mon mari et moi-même sommes tous deux titulaires de diplômes universitaires obtenus respectivement au Royaume-Uni et aux États-Unis. Nous étions au milieu de la trentaine et, sur le papier, tout semblait aller pour le mieux. Notre confiance, cependant, allait s’amenuiser. Les passeports vénézuéliens n’ouvrent pas de portes.
Nous avons passé plusieurs mois à rechercher des options qui nous permettraient de repartir à zéro ailleurs en toute légalité. Nous avons dressé une liste de cinq pays différents jusqu’à ce qu’il ne nous reste qu’une seule option : le Canada. Aucun de nous deux n’y avait jamais mis les pieds. Bien que notre bagage académique nous ait aidés à remplir des conditions telles que les exigences linguistiques et l’enseignement supérieur, nous avions quelques inquiétudes. Tout d’abord, le long processus de demande qui nous attendait. Ensuite, la limite d’âge pour postuler, dont j’étais proche. Sans oublier la situation au Venezuela qui continuait de se détériorer. Le temps était compté.
La réalité du terrain rendait notre situation bien plus urgente et critique que notre dossier ne le laissait paraître. Nous étions chaque jour en danger dans notre pays. Aucun de nos efforts ne pouvait rien y changer, cela dépassait nos compétences et nos ressources. Nous vivions dans l’inconfort au milieu de notre confort apparent, dans une ville où l’inflation et le taux de criminalité étaient parmi les plus élevés au monde. Nous étions dans une situation inextricable.
Où nous étions
Si nos passeports n’ouvraient aucune porte, les politiques mises en œuvre par notre gouvernement visaient à s’assurer que nous restions au Venezuela. Les étapes les plus élémentaires et les plus fastidieuses d’une procédure juridique – les formulaires et les frais – constituaient désormais une véritable course d’obstacles. Le gouvernement vénézuélien bloquait systématiquement toutes les cartes de crédit nationales, empêchant toute transaction en devises étrangères. Ne pas pouvoir effectuer de paiements de ligne est ainsi devenu une barrière supplémentaire considérable aux démarches que nous devions accomplir, qu’il s’agisse de montants de 25 ou de 100 dollars. Même si nous avions de l’argent en banque, nos cartes de crédit ne fonctionnaient que pour les transactions effectuées en bolivars (la monnaie vénézuélienne).
Pour cette raison, nous ne pouvions même pas couvrir les frais administratifs de base afin de soumettre nos différents documents. Et fallait-il encore réussir à récupérer nos documents !
Nous procurer une copie de nos documents officiels s’est avéré plus complexe que les douze travaux d’Astérix. Ainsi, une simple sortie pour récupérer des certificats de naissance et d’autres documents représentait de longs déplacements dans les entrailles du centre-ville de Caracas et des interactions avec des fonctionnaires formés pour décourager en ayant recours à l’intimidation. Le message constamment martelé par les dirigeants du gouvernement, les conduisait à adopter un mode de pensée se résumant à « nous contre eux », selon lequel ceux qui soutenaient le président avaient été volés de tous les avantages dont les autres profitaient. Eux aussi étaient soumis à la même réalité oppressive que nous.
Nous vivions dans un système qui nous était défavorable. Les ressources financières ou une bonne éducation, même si elles constituaient un avantage considérable, ne suffisaient pas pour nous permettre de nous en sortir rapidement ou facilement. Ce projet d’immigration ressemblait plus à un rêve utopique qu’à une réelle possibilité. Ce rêve comportait une date de péremption imminente et nous ne savions pas si nous serions en mesure de la respecter. Ce rêve exigeait plus de foi que je n’en avais.
Quand le besoin est ce dont nous avons besoin
Lorsque nous entrevoyons la possibilité qu’un de nos projets se réalise, cela peut remuer en nous divers sentiments et également faire remonter à la surface nos désirs et nos peurs les plus profonds, ce qu’il y a de plus vrai en nous. Est-ce que je croyais que Dieu était au contrôle du résultat final ? Oui, je le croyais. Est-ce que je croyais qu’il était toujours bon même si cela ne marchait pas ? Je dois avouer que de nombreux « et si » envahissaient mes pensées.
D’une part, nous dépendions de notre propre gouvernement pour de nombreuses démarches en vue d’obtenir des documents officiels. D’autre part, nous dépendions du gouvernement canadien pour nous informer de l’acceptation de notre dossier. Dans le premier cas, nous étions à la merci d’un système corrompu qui fonctionnait justement pour nous garder à l’intérieur du pays. Dans le second cas, nous faisions partie des dizaines de milliers de demandeurs du monde entier qui cherchaient à obtenir la résidence permanente. C’était comme une course d’obstacles au ralenti. Je ne savais rien, si ce n’est que j’avais désespérément besoin de savoir ceci : Allons-nous pouvoir partir ?
Nos besoins et nos désirs sont le moteur de notre comportement. Face à mon besoin d’un nouveau départ que je ne pouvais ni gagner ni créer, je me suis écroulée à genoux. Nous avions beau habiter un quartier de classe moyenne supérieure, avec ses appartements confortables et ses voitures garées dans les rues, il n’en était pas moins que le Venezuela était en train de se déliter. Et avec lui, notre autosuffisance. La descente du Venezuela dans le chaos n’avait pas seulement interrompu notre quotidien ; elle avait aussi effrité notre identité.
J’ai passé mes années de formation dans des pays développés d’Occident. J’ai honte de dire que j’en étais venue à me sentir au sommet. En tant que chrétienne, je reconnaissais que mon éducation et mes expériences étaient un cadeau de la main généreuse de Dieu. Mon père avait toujours eu le désir de m’offrir la meilleure éducation possible. Et c’est Dieu, mon Père céleste, qui nous avait bénis en nous donnant les ressources qui avaient rendu cela possible. Mais lorsque j’ai atteint l’âge adulte, je m’étais habituée à la facilité que m’offrait mon parcours. Je plaçais ma confiance dans mes bénédictions plutôt que dans celui qui les donne.
Bien que ma foi m’ait aidé à comprendre que j’avais besoin d’un Sauveur, ce n’est que lorsque nous avons entamé notre processus de candidature dans des circonstances désespérées que j’ai compris à quel point je désirais quelque chose que ni l’intelligence ni les ressources matérielles ne pouvaient m’apporter. Jusque-là, je pensais que ma vie était bien remplie et que mon avenir était plein de possibilités. Le fait de devenir immigrante a révélé combien je m’en remettais à mes propres capacités. Cela m’a aidée à voir à quel point j’étais petite et à quel point ma foi pouvait être vide si je ne croyais qu’en ma propre autosuffisance.
Le cadeau de l’immigration
Honnêtement, je ne sais pas ce qui était le plus effrayant : le pays en désordre que j’appelais alors chez moi, ou le désordre de ma propre vie lorsque j’étais loin de Dieu, quel que soit l’endroit où je me trouvais. L’un des nombreux cadeaux que m’a apportés mon statut d’immigrée est l’humilité de me voir si démunie, si peu à la hauteur. Un processus qui a commencé par des formalités administratives dans un pays en ruine s’est poursuivi par une âme tourmentée dans un pays parfaitement paisible.
En 2012, une fois tous nos formulaires remplis, nous sommes montés à bord d’un avion en partance pour le reste de notre vie. Neuf heures plus tard, nous avons atterri à Montréal. Nous avons échangé un mode de vie aisé mais incertain pour une vie sûre mais modeste. Nous pouvons faire rentrer tout notre appartement montréalais dans l’espace de notre ancienne salle de séjour. Nous avons un abonnement de bus mensuel et nous déplaçons en transports en commun. Dans notre supermarché local qui se trouve maintenant à huit minutes de marche de chez nous, nous avons l’embarras du choix : du poulet nourri à l’herbe ou sans hormones, des boissons à base d’amandes ou d’avoine, en passant par les produits laitiers issus de vaches ou de chèvres. L’abondance dépasse nos besoins.
La première année a été une série de premières fois difficiles. Nous avons appris que même les prières exaucées nécessitent encore de la foi parce que nous avons encore besoin de sagesse dans les prochaines étapes à franchir. Le premier jour dans un nouveau travail, dans une nouvelle ville, dans un nouveau pays, avec un nouvel accent et un nouvel itinéraire de bus à apprendre s’accompagnait d’une nouvelle adresse à découvrir. J’étais étourdie par tant de premiers moments à gérer. Je me demandais s’il y aurait un jour un moment où une partie de ma vie me semblerait de nouveau familière où je sortirais de l’inconnu. Mais tout n’était pas nouveau. Au fur et à mesure que nous apprenions à construire cette nouvelle vie, de vieilles habitudes revenaient.
Savoir à qui nous appartenons
Avant d’immigrer, nous étions, pour le meilleur ou pour le pire, l’enfant d’un tel, le voisin d’un autre. Nous avons tous une histoire qui retrace notre passé et le relie au présent. Ces détails attestent de notre identité. Ils confirment qui nous sommes. Du jour au lendemain, mon mari et moi sommes devenus un numéro sur un formulaire, un nom de famille difficile à prononcer, des étrangers, des inconnus. Lors de grands changements, nous essayons de trouver l’équilibre entre ce que nous apportons avec nous et ce que nous devenons. Nous nous sommes ainsi en quelque sorte servis d’anciennes briques pour construire une nouvelle vie.
J’ai toujours été portée vers la réussite. Je définissais le succès en termes de poste, de titre et d’échelle salariale, ce qui nourrissait mon orgueil. Le fait de m’installer dans une économie stable m’a permis de rechercher cette réussite sans entrave. En temps voulu, j’ai trouvé un emploi. Avec des responsabilités croissantes, je me suis retrouvée à servir l’autel de la réussite. Avec le travail de mes mains, j’ai construit mon propre royaume d’estime de soi et d’autosuffisance. Tout peut devenir un élément constitutif de notre identité. Mon travail est devenu le mien.
Deux ans après avoir immigré à Montréal, je me suis réveillée avec la vie que j’avais cru vouloir, mais j’étais épuisée et suicidaire. Au bout du rouleau une fois de plus, cette fois par ma propre faute, j’ai quitté à contrecœur mon emploi bien rémunéré au sein d’une entreprise. Sans mon titre professionnel et mon revenu, je ne savais plus qui j’étais. Quelle était ma valeur, sans salaire pour contribuer au budget familial ? Ma personne avait-elle de la valeur maintenant que je ne pouvais même pas sortir du lit et fonctionner malgré ma bonne santé physique ? J’avais échappé aux bouleversements du Venezuela, mais j’étais prise au piège par le chaos qui régnait dans mon propre esprit, alors que je vivais dans l’une des démocraties les plus stables du monde. Cela m’a mise à genoux. Encore une fois.
Habituée à vivre sous le poids de mes propres définitions erronées de la réussite, je me sentais mal à l’aise, incapable de prouver mon utilité. L’humilité qui m’a abaissée m’a aussi réconfortée. J’ai appris à nouveau que Jésus nous sauve de nous-mêmes (Matthieu 16:26). Au cours des mois qui ont suivi, je me suis lentement rappelée comment redevenir une personne, avec ses limites et son besoin de repos, au lieu de la machine à produire que j’avais essayé d’être. J’ai réappris à vivre en sachant que je suis connue de Dieu, que je lui appartiens (1 Pierre 2:9). Cela avait plus de valeur que la somme de toutes mes compétences ou réalisations. Avec le temps, je me suis rendu compte que c’est celui à qui j’appartiens qui conditionne ce que je suis dans le monde (1 Pierre 2:10).
Nous sommes des nomades et des étrangers ici sur terre (Hébreux 11.13). Nos cœurs ont été créés pour Dieu. Les troubles intérieurs que j’ai connus après avoir échappé à mon pays m’ont montré qu’aucun lieu géographique ne pouvait alléger de tous les fardeaux. Nous aspirons à un lieu stable, « la cité aux fondements inébranlables dont Dieu lui-même est l’architecte et le constructeur » (Hébreux 11:10).
Savoir à quel lieu nous appartenons
Un an après mon épuisement professionnel, le jour dont nous avions tant rêvé, pour lequel nous avions tant prié et que nous avions tellement souhaité, est enfin arrivé : notre cérémonie de citoyenneté. Sur le papier à en-tête officiel, l’invitation indiquait le mercredi 4 novembre 2015. Ce jour-là, l’air était vif. Un tapis de feuilles brunes, dorées, rouges et craquantes se déroulait sous nos pas depuis l’arrêt de bus jusqu’à l’adresse indiquée sur l’invitation. Lorsque nous avons atteint le centre communautaire, le spectacle automnal à l’extérieur nous a semblé bien terne en comparaison avec le spectacle qui nous attendait à l’intérieur. Un kaléidoscope de couleurs de peau remplissait l’auditorium, ainsi qu’une cacophonie d’accents et de langues. Nous nous sommes joints à eux, ajoutant à ce concert notre propre accent espagnol.
Nous avons prêté serment. La musique de l’hymne national a suivi. Nous étions là, chantant la chanson de quelqu’un d’autre et la faisant nôtre à chaque mot. Entre les strophes de « Ô Canada », mon mari Gustavo et moi avons échangé des regards pleins de larmes. Trois cents immigrants remplissaient la salle à ras bord. L’image faisait écho de manière imparfaite à un autre rassemblement « des gens de toute nation, de toute tribu, de tout peuple, de toute langue » (Apocalypse 7.9). Une nouvelle nationalité a été ajoutée à notre identité.
Nous ne faisions plus partie de ceux que l’on appelait « les autres ». Nous pouvions désormais prétendre à un nouveau passeport, qui n’allait pas tarder à arriver. En ce jour de novembre 2015, nous sommes devenus Canadiens. Trois ans auparavant, nous étions montés à bord d’un avion pour recommencer nos vies à l’âge de 40 ans. Avant cela, nous avions traversé deux années de larmes, de prières, de faux départs et de périodes d’attente. Tout ce processus n’avait pas ressemblé à une ligne droite, mais plutôt à un chemin long et tortueux. Debout dans cet auditorium, j’ai essayé de retracer le périple qui nous avait menés jusqu’à ce jour.
Une fois encore, notre expérience fait écho à une vérité plus profonde : « Vous qui autrefois n’étiez pas son peuple, vous êtes maintenant le peuple de Dieu. Vous qui n’aviez pas obtenu compassion, vous avez désormais obtenu compassion » (1 Pierre 2.10). J’ai pensé à d’autres personnes qui avaient été déracinées, comme Abraham, dont l’obéissance ne lui a pas épargné les dangers et les risques lorsqu’il a réuni sa famille pour quitter son pays. Il ne savait pas où il allait, mais Dieu l’a conduit et il a vécu par la foi (Hébreux 11.9). Nous apprenons à faire de même. Le caractère de Dieu n’est pas confirmé par des résultats favorables, mais par sa fidélité.
Lorsque vous partez, vous emportez avec vous ce que vous êtes. Nous sommes devenus des Canadiens dans cet auditorium. Mais nous étions toujours Paola et Gustavo, nés à Caracas, au Venezuela. Notre histoire semblait s’étoffer avec un nouveau chapitre. Le déracinement que nous avions connu nous a conduits à reconnaître que nous avions besoin de la grâce. Ce nouveau départ était l’accomplissement d’une prière qui a mis des années à être exaucée. Nous avions demandé un moyen légal de quitter notre pays chaotique. Dans sa miséricorde, Dieu nous a accordé davantage. Grâce à l’immigration, il nous a appris à lui appartenir.
Chaque fois que je sors pour faire mes courses et que je jouis de la tranquillité d’une ville paisible, une tranquillité pour laquelle je n’ai pas eu à me battre, je fais l’expérience d’une parabole vivante. L’immigration illustre la manière dont nous sommes adoptés dans le royaume de Dieu.
Nous entrons tous dans le royaume de Dieu sans titres ni qualifications. Notre appartenance ne vient pas de ce que nous apportons, mais de ce que nous recevons. Qui nous sommes est défini par Celui qui nous accueille dans sa famille. Nous sommes tous des immigrants dans le royaume de Dieu.
Quant à nous, nous sommes citoyens des cieux : de là, nous attendons ardemment la venue du Seigneur Jésus-Christ pour nous sauver.
Philippiens 3.20